Centre de Recherches sur les Langues d'Asie Orientale

Linguistique et cognition

Je travaille sur deux sujets:

  • L'utilisation des données extra-linguistique dans le processus d'interprétation.
  • et depuis quelques temps, les phénomènes de «facilitation» lors de l'interprétation. Comment en rendre compte dans les systèmes formels ?

Théorie de l'esprit et interprétation

J'ai montré comment un allocutaire intégrait ses connaissances sur autrui pour désambiguïser les noms propres (Blin 2017).

Ce travail théorique a servi de support pour concevoir un nouveau protocole d'observation de l'acquisition de la théorie de l'esprit chez les enfants en bas-âge, francophones et japonophones (Norimatsu et al., 2014). Le protocole a été utilisé aussi pour les enfants autistes, par d'autres chercheurs. Le protocole produit malheureusement des résultats ambivalents. Nous travaillons actuellement à une nouvelle version qui lèverait ces difficultés. Une nouvelle version a été testée en 2017-2018 (résultats en cours d'analyse). Une troisième version est à venir l'année prochaine.

Compositionnalité du langage

Une hypothèse forte chez nombre de linguistes est que le langage est compositionnel: le sens d'une structure est fonction du sens de ses composants.

Mais de nombreuses observations viennent contrarier cette hypothèse: difficulté à traiter les formes figées ou semi-figées, observations en neurolinguistiques des phénomènes de facilitation etc. J'adhère à l'idée d'une organisation mixte: le langage est fondamentalement compositionnel et le processus d'interprétation repose par défaut sur l'analyse compositionnelle. Mais il existerait des «raccourcis» ou dispositifs de «facilitation» pour accéder à la valeur sémantique d'une structure sans nécessiter d'analyse compositionnelle.

Le premier défi est de définir ces raccourcis, aux niveaux morphologique et syntaxique.

Le second défi est de modéliser ces raccouris ou dispositifs de facilitation pour les intégrer dans le modèle formel de la langue. Doit-on les implémenter dans le lexique ? la grammaire ? Correspondent-ils à des heuristiques d'analyse ? J'aborde cette question dans une analyse morphosémantique des suffixes sino-japonais. Le premier modèle (Blin 2017) ne gérait pas toutes les propriétés de ces morphes. Par exemple, je trouve gênant de traiter de la même manière nihon-go «Japon-langue; japonais» et un dérivé (non attesté mais interprétable) comme uzubekisutan-go «Ouzbékistan - langue; ouzbékistanais (non attesté mais interprétable si l'on comprend Ouzbékistan)». L'intuition est que le calcul du dénoté du premier est plus rapide que celle du second. Une hypothèse parmi d'autres est que l'accès au sens du premier dérivé se fait directement tandis qu'il doit être calculé (par compositionnalité) dans le second cas. C'est ce que j'essaie de transcrire formellement.

L'observation des raccourcis est lourde à mettre en oeuvre (électroencéphalographie). Un troisième défi est de corréler ces phénomènes à des phénomènes observables (la fréquence ?) pour détecter les traitements appliqués aux différentes structures avec les outils traditionnels (et «légers») de la linguistique.


2018/06/04
blin@ehess.fr